Arts

Karishma D’Souza | Anna Bella Geiger

01 11 juin 2023

Xippas Paris

Un espace de dialogue entre deux artistes : Anna Bella Geiger et Karishma D’Souza. Bien que les deux appartiennent à des générations et des géographies différentes, leurs systèmes poétiques se chevauchent à bien des égards. Elles partagent, par exemple, l’obsession pour les territoires et les cartes, qu’il s’agisse de cartographies contemporaines ou d’anciennes mappa mundi, et entendent la carte à la fois comme une représentation d’un territoire ou d’un globe, et comme un acte conceptuel, celui de “cartographier de nouvelles significations”. Leurs pratiques sont aussi liées à l’idée de storytelling, ne cherchant pas seulement à déstabiliser un récit établi, mais aussi à rassembler, archiver et abriter différents points de vue et narrations dans un “panier” de l’histoire - et de la fiction. Cette conception de la fiction vue comme un réceptacle des récits non-héroïques et non-linéaires, issue de l’essai d’Ursula Le Guin “La théorie de la fictionpanier” (“The Carrier Bag Theory of Fiction”) écrit en 1986, semble résonner profondément dans les univers des deux artistes. Tout comme Le Guin, Anna Bella Geiger et Karishma D’Souza souhaitent incarner, à leur manière, une alternative à “un mode d’être linéaire et progressif de la flèche (tueuse) du Temps” dont la langue est celle de l’épée plutôt que de la paix. De même, elles convoquent une multiplicité de voix et de visions dans leurs systèmes de pensée – pour remettre en question les choses, les structures et les façons d’être.

 

Anna Bella Geiger, fille d’immigrés polonais, née à Rio en 1933, a connu des années politiques sombres et compliquées, marquées par la dictature et la censure. Il n’est donc pas étonnant que sa stratégie principale ait été celle d’un détournement ironique, comme il n’est pas étonnant qu’elle se soit intéressée au concept d’identité(s), passé d’ailleurs au pluriel, grâce, en partie, à ses origines doubles, voire triples, si on se souvient de son ascendance juive qui a poussé sa famille à immigrer, la rendant pour toujours ‘étrangère’ dans son propre pays. De même, on peut comprendre son intérêt pour la relation dichotomique entre la périphérie et le centre, renforcée artificiellement par les jeux géopolitiques. Prônant des idées de diversité et de multiplicité par opposition à l’uniformité et l’homogénéité d’un système autoritaire, elle a toujours cherché à faire un pas de côté, à contourner des interdits et des obstacles, en s’inventant de nouveaux chemins labyrinthiques, où personne n’a su la suivre, car, inimitable, elle restait en dehors des mouvements et des groupes artistiques. De même, elle a expérimenté - et continue à le faire - de nombreux médiums, alternant la photographie, l’impression / la photocopie et le collage, avec la peinture et la sculpture. En passant d’une technique à une autre, qu’elle combine et entremêle, elle remet en question leurs limites mêmes, ou leurs “frontières”, comme elle remet en question les frontières tout court, qu’elles soient politiques ou mentales, pour les transgresser et les redéfinir. Rien n’est rigide dans son système de pensée, tout change, se compose et se recompose, en multipliant les strates, les couches et les formes, pour fabriquer toute une cartographie de nouveaux sens.